
Emma : quelle traduction choisir ?
Lorsque j’ai commencé ma lecture du roman Emma de Jane Austen pour Jane Austen July, j’ai voulu me pencher sur la question de ses traductions françaises qu’on trouve aujourd’hui en nombre plutôt conséquent. Les traductions françaises de Jane Austen, c’est selon toute évidence un très vaste sujet ! En effet, on apprend que les premières traductions de ses romans ont été considérablement raccourcies, voire réécrites en raison notamment de l’humour jugé « trop exotique » pour le public français.A
La toute première traduction anonyme d’Emma, ainsi que celle de Pierre de Puliga qui date de 1910 seraient donc apparemment à éviter. Pour m’en assurer, j’ai réussi à me procurer de six traductions qu’on peut trouver aujourd’hui en librairie et que je vous propose de comparer. N’étant pas traductrice ou professeure de Lettres, je n’ai pas la prétention de faire une étude et une analyse complète. Je ne fais que juxtaposer les traductions d’un même extrait (qui vient du premier chapitre) et vous laisse juger par vous-même.
Texte original

“The real evils, indeed, of Emma’s situation were the power of having rather too much her own way, and a disposition to think a little too well of herself; these were the disadvantages which threatened alloy to her many enjoyments. The danger, however, was at present so unperceived, that they did not by any means rank as misfortunes with her. ”
Traduction de Pierre de Puligua (1910)
Cette traduction parait en 1910 dans le Journal des Débats politiques et littéraires. Elle est signée de nom de Pierre de Puligua qui est probablement un pseudonyme de Henrietta de Quigini, comtesse de Puliga. Cette traduction est connue pour être assez fade car elle gomme l’humour de l’auteur comme la plupart des traductions de cette époque. Cette traduction est tombée dans le domaine public, on peut donc la découvrir en libre accès sur Internet. On peut également la trouver dans l’édition Hugo poche, ou chez Archipoche, par exemple.

« Les seuls écueils de la situation de la jeune fille étaient précisément l’absence de toute influence et de tout frein, et une prédisposition à avoir une confiance excessive en soi-même. Néanmoins, pour l’instant, elle n’avait aucunement conscience des désavantages qui menaçaient de ternir un jour son bonheur. »
Quelques couvertures avec la même traduction :

Traduction d’Hélène Seyrès (1992)
La toute première traduction anonyme du roman qui date de 1816 est toujours très largement utilisée dans l’édition française, faisant toutefois l’objet de multiples adaptations et révisions. Chez Archi Poche on peut notamment trouver la cette traduction anonyme dans la version adaptée et révisée par Hélène Seyrès. De quoi gommer quelques imperfections, mais sans modifier le style un peu froid et concis.

“Le plus grand malheur d’Emma, à la vérité, était d’avoir trop de liberté et trop présumer d’elle-même ; c’est ce qui pouvait un jour porter obstacle au bonheur de sa position. Le danger néanmoins paraissait à présent si peu imminent que l’on pouvait en appréhender aucun malheur réel. ”
Quelques couvertures avec la même traduction :

Traduction anonyme révisée (?)
Une autre version de cette même traduction anonyme est disponible chez Hauteville. Les différences avec la précédente version me paraissent minimes. Cette révision n’est ni signée ni datée. L’édition reliée illustrée par Hugh Thompson a l’air en revanche vraiment très belle !

“Le plus grand malheur d’Emma, à la vérité, était d’avoir trop de liberté et de trop présumer d’elle-même ; c’est ce qui pouvait un jour porter obstacle à son bonheur. Le danger néanmoins était à présent si peu imminent que l’on pouvait en appréhender aucun malheur réel. ”
Quelques couvertures avec la même traduction :

Traduction de Josette Salesse-Lavergne (1982)
Dans cette traduction publiée en 1982 et signée par Josette Salesse-Lavergne, le texte ne subit aucune amputation. On peut la trouver aujourd’hui dans l’édition 10/18 et Presse de la Cité.

“En fait, les écueils écueil que présentât la situation d’Emma résidait dans cette liberté excessive et dans la propension de la jeune fille à se voir sous un jour un peu trop flatteur. C’était là ce qui menaçait de ternir son bonheur, mais pour l’heure on ne pouvait parler de véritables problèmes, tant Emma était inconsciente du danger qu’elle courait. ”
Quelques couvertures avec la même traduction :

Traduction de Pierre Nordon (1997)
Cette traduction qui date de 1997 a l’air tout aussi complète et fidèle. On peut la trouver dans l’édition Le Livre de Poche.

“Les réels écueils qu’eût rencontrés la situation d’Emma résidaient dans cet excès de liberté dont elle disposait, et dans sa tendance à être un peu trop satisfaite de sa personne : ces travers risquaient de ternir les nombreuses satisfactions qu’elle pouvait espérer. Pour l’instant, toutefois, la menace était si peu perceptible qu’elle ne s’en souciait pas le moins du monde. ”
Quelques couvertures avec la même traduction :

Traduction de Pierre Goubert (2015)
Cette traduction publiée en 2015 et signée par Pierre Gouvert est disponible dans l’édition Folio. Professeur de l’université de Rouen à la retraite, il a traduit plusieurs romans de Jane Austen dont Emma. Personnellement, c’est celle que j’ai choisi pour ma lecture. Je trouve qu’il a réussi à garder son ton espiègle et narquois.

“Les seuls écueils, en réalité, dans la situation d’Emma, étaient la liberté qui lui était laissée d’agir un peu trop à sa guise et une tendance à se faire une trop haute idée de ses capacités. Il fallait voir là ce qui risquait le plus nuire à l’agrément d’une vie par ailleurs riche en distractions. Le danger toutefois pour l’heure échappait tant à son attention qu’elle ne voyait là nulle occasion de se tourmenter. ”
Quelques couvertures avec la même traduction :

Traduction de François Laroque (2020 ?)
Vous pouvez trouver cette traduction dans la collection Romans Éternels qu’on achète chez les marchands de journaux ou par correspondance. Je n’ai pas trouvé beaucoup d’informations au sujet de cette traduction, je l’ai donc datée de l’année de la sortie de l’édition en question.

“A vrai dire, dans la situation d’Emma, les seuls points d’ombre venaient précisément de ce qu’on lui passait à peu près tout et qu’elle avait tendance à se surestimer. C’étaient là des travers qui risquaient de gâcher ses nombreux plaisirs. Néanmoins, elle avait pour l’heure si peu conscience de ce danger qu’elle ne voyait là rien qui puisse nuire à son bonheur. ”
N’hésitez pas à partager votre expérience de lecture de ce roman : dans quelle traduction l’avez-vous découvert ? Et si ce n’est pas encore fait, quelle traduction préférez-vous ?
2 Comments
Coralie
juillet 24, 2023 at 10:19
J’avoue que je n’ai jamais lu Jane Austen traduite en français mais j’apprécie ton travail de recherche et de juxtaposition. Bravo et merci !
anna-autumnalys
juillet 24, 2023 at 11:19
Peut-être qu’un jour tu auras même envie de traduire un roman de Jane Austen en français toi aussi ? 😉