
Shirley, Charlotte Brontë

« Je n’ai jamais eu de sœur, vous n’en avez jamais eu non plus ; mais je sens en ce moment ce que doivent être les sentiments des deux sœurs l’une pour l’autre : une affection, enracinée à leur vie, qu’aucun choc ne peut ébranler, que les petites querelles froissent un instant, afin qu’elle se redresse plus fraîche et plus vive lorsque la pression a disparu ; une affection qu’aucune passion ultérieure ne peut détruire, que l’amour même ne peut qu’égaler en force et en constance. »
Je ne sais pas pourquoi j’ai attendu aussi longtemps pour découvrir Shirley de Charlotte Brontë. Je me souviens d’avoir adoré Jane Eyre, lu il y a maintenant plus d’une dizaine d’années. Mais il m’a fallu tout ce temps pour qu’un autre roman de l’ainée des sœurs Brontë se retrouve de nouveau entre mes mains. Il s’agit de son deuxième roman publié, écrit dans un moment très difficile de sa vie. En effet, l’année précédente sa publication, Charlotte perd son frère Branwell, mort du tuberculose, rapidement suivi par sa sœur Emily, et sa cadette Anne. On ne peut qu’imaginer le chagrin et la douleur que Charlotte doit traverser à ce moment de sa vie. Il est difficile à dire à quel point ces événements ont influencé l’écriture de ce roman. Une chose est sûre : en créant le personnage de Shirley, Charlotte s’est grandement inspirée de sa sœur Emily…
Présentation de l’éditeur
Du fait des guerres napoléoniennes, la province du Yorkshire subit la première dépression industrielle de l’Histoire. Robert Moore est l’un de ces industriels dont les filatures tournent à vide. La timide Caroline, sa cousine, est éprise de lui. Mais Robert est trop préoccupé par les émeutes et les ennuis financiers pour songer à un mariage si peu lucratif. Il songe plutôt à Shirley Keeldar, une jeune héritière qui vient de s’installer en ville. Vive et entreprenante, le « capitaine Keeldar » – comme elle se laisse appeler – déborde d’idées pour investir son argent, souhaitant venir en aide aussi bien à Robert qu’aux ouvriers les plus pauvres.
Roman social ou roman des mœurs
Shirley est un roman fortement lié à la réalité sociale de l’époque. Le contexte social, politique et économique est décrit minutieusement, avec toute la violence de la révolution industrielle pour les populations les plus pauvres, les conflits entre les ouvriers et les manufacturiers, et les conséquences des guerres napoléoniennes. Robert Moore, personnage masculin central du roman, est un manufacturier qui essaye de maintenir à flot sa fabrique de filature. La modernisation de sa fabrique avec des appareils tout neufs est pour lui l’unique moyen de survie dans cette crise. L’arrivée de nouvelles machines provoquent le mouvement de contestation parmi les ouvriers de la région. Face au désarroi des plus pauvres, Robert reste toutefois ancré sur ces positions, préoccupé par l’avenir de son entreprise.
Secrètement amoureuse de lui, sa cousine Caroline essaye d’adoucir son caractère, de le sensibiliser au sort des plus démunis. Elle croit que il est aveuglé par la quête de prospérité, et que malgré quelques défauts, il a un bon cœur et une belle âme. Elle n’hésite pas à le défendre, recherche sa compagnie, l’aide à se rendre compte de ses erreurs, mais n’ose pas dévoiler ses sentiments. L’arrivée dans la région d’une jeune et belle héritière, Shirley Keeldar viendra bouleverser son quotidien. Shirley est active, volontaire et indépendante, contrairement à Caroline, douce et réservé. Mais malgré la différence de caractères, les deux jeunes filles se lient rapidement d’amitié et deviennent presque comme des sœurs l’une pour l’autre. Caroline est toutefois persuadée que Robert éprouve des sentiments pour Shirley. Comment ne pas admirer cette femme exceptionnelle ? Cette idée, ainsi que l’indifférence manifeste de Robert, la fait violemment souffrir et dépérir petit à petit…
Mon avis
Par sa dimension sociale, ce roman m’a tout de suite fait penser à Nord et Sud d’Elizabeth Gaskell (que je n’ai toujours pas lu). Beaucoup moins connu, Shirley est cependant antérieur à ce roman. La description du contexte historique et sociale de l’époque est très réaliste et nous plonge dans des situations de violence et de tensions. Ces passages marqués par le réalisme social assez cru sont équilibrés par l’histoire d’un amour contrarié et la vie personnelle de nos héros, avec leurs peines et leurs aspirations.
J’ai adoré suivre les personnages principaux. Avec sa souffrance muette et résignée, Caroline m’a énormément touchée. C’est le personnage dont je me suis sentie la plus proche. Et c’est elle d’ailleurs qui devrait être considérée comme le personnage principal du roman. Certes, elle n’a pas la personnalité aussi éclatante et exceptionnelle que Shirley mais c’est celle qui m’a le plus émue. Quant à Shirley, il s’agit d’une figure forte, indépendante et très féministe qui mérite de l’admiration, notamment dans le contexte de la société victorienne, où les femmes étaient considérées fortement inférieures aux hommes. Décrite comme « capitaine Shirley », voire « lionne », elle brillent au milieu de tous par son authenticité et son indépendance.
Certains passages laissent transparaître les positions de Charlotte Brontë sur la place attribuée aux femmes à l’époque, et surtout sur le mariage. Plusieurs personnes complètements différentes interviennent au cours du récit pour mettre en garde les jeunes filles contre les dangers de cette convention sociale. On y ressent une vision assez désabusée et pessimiste de Charlotte sur la question. Mais elle n’est pas non plus dénuée du romantisme, car il y a également beaucoup de passages et de dialogues très émouvants. D’ailleurs, à l’instar de Catherine dans Les Hauts de Hurlevent, Caroline se meurt littéralement d’amour. Je ne sais pas s’il s’agissait d’une référence au roman de sa défunte sœur ?
Cependant, malgré toutes les qualités indéniables de ce roman, je dois dire que je ne l’avais pas aimé autant que je l’aurais voulu. Je l’ai trouvé dans l’ensemble assez inégal, alourdi par les discussions sans fin sur la société, la religion, la politique. Le ton me paraissait même parfois un peu trop dogmatique et desservait la fluidité du récit… Il y avait des passages magnifiques qui me touchaient du fond du cœur, mais il y en avaient aussi d’autres que je trouvais superflus. Je pense que ce roman a un peu souffert du contexte dans lequel il a été écrit. Mais il nous a aussi donné des personnages inoubliables, telles que Shirley Keeldar.
2 Comments
Les Sœurs Brontë : la force d'exister, Laura El Makki – Anna Autumnalys
février 12, 2022 at 4:13
[…] est passé sous le signe des sœurs Brontë. Je vous avais déjà parlé de ma récente lecture de Shirley et de Villette de Charlotte Brontë. En complément de ces deux romans, j’ai aussi eu […]
Elizabeth Gaskell : une auteure coup de cœur – Anna Autumnalys – Blog littéraire
mai 4, 2022 at 10:14
[…] de présentation de ce parcours. Je vous avais déjà parlé de mes lectures de Villette et de Shirley de Charlotte Brontë, lu dans le cadre de ce parcours en janvier. Le mois de février a été […]